Les camps de jeunesse

Etienne Régnier aux chantiers de jeunesse

CJF26: groupement 26 des chantiers de jeunesse à Sauveterre de Comminges (1941)

En mars 1941, je suis parti pour les camps de jeunesse, d’abord à Saint-Gaudens. Nous n’y sommes pas restés longtemps, c’est là qu’a eu lieu la sélection. Saint-Gaudens était un important centre de sélection pour la classe 41, qui répartissait les jeunes dans une grande partie du sud-ouest de la France

L’encadrement était assuré par des militaires français, ce centre équivalait à une compagnie de l’armée (normalement dirigée par un capitaine). Nous étions commandés par un aspirant reconnaissable à ses deux étoiles, le sous-chef avait une étoile, et il y avait aussi des sous-officiers (des adjudants et des sergents-chefs) qui eux arboraient des barrettes.

Depuis Saint-Gaudens, j’ai été désigné, avec un groupe de 60 à 80 jeunes, pour aller travailler dans un village nommé Le Boucou*. A notre arrivée, un accueil était déjà prévu : une grande grange avait été laissée à la disposition du camp de jeunesse par la municipalité. Il était prévu de nous faire construire une route. Nous disposions à cet effet de pelles, de pioches et de tout le matériel nécessaire. Nous avions été regroupés par petites sections d’un effectif variant entre vingt et vingt-cinq personnes. Pour loger, six tentes d’environ vingt places étaient à notre disposition soit au total une capacité d’accueil de cent vingt jeunes. Notre première tâche fut donc de monter le camp et dès le lendemain, nous avons commencé à travailler à la route.

CJF 26 en 1942

CJF26 de Sauveterre de Comminges en 1942. © Famille Etienne Babu (affecté au CJF26 de juillet 1942 à mars 1943)

Nos journées s’organisaient de manière stricte . On se levait à 6H30, ensuite on buvait le café et on recevait notre ration de pain et de fromage pour la matinée. Le salut aux couleurs avait lieu à 7H30, puis notre activité s’organisait en une demi-journée réservée pour le travail et l’autre pour le sport et les exercices. Par équipes de six nous participions tous à la construction de la route, sauf une dizaine de jeunes qui étaient affectés aux tâches de cuisine et de garde du camp. Le sport consistait en une heure et demie de football ou de volley-ball qui avait lieu dans un grand pré au bord d’une rivière. Nous jouions torses nus et vêtus d’un short blanc, nous étions relativement bien équipés. Après le sport, nous enfilions un treillis pour participer à des marches. A midi, la deuxième distribution de nourriture avait lieu, on nous donnait le quart d’une boule de pain qui devait servir pour les repas de midi et du soir, par contre on avait encore du café à volonté, distribué à partir d’une grande marmite de quatre-vingt ou cent litres.

Le soir, après le repas, nous devions monter la garde à tour de rôle pendant deux heures. Une tente était désignée et ses occupants assuraient, de 20H à 7H ce service qui se prenait sans arme. Nous devions surtout éviter de nous endormir, car des officiers faisaient des rondes de surveillance.

C’est pendant cette période, qu’avec trois ou quatre camarades, nous avons tenté de fuir vers l’Espagne pour rejoindre la France libre dans les colonies. Nous avions réuni les vivres nécessaires pour cette expédition, mais nous avons dû renoncer, en route, face aux difficultés que constituaient la distance à parcourir et la nature montagneuse du terrain. A notre retour, pour expliquer notre absence, nous avons prétexté nous être égarés, ce subterfuge a réussi, ce qui nous a permis d’éviter de graves ennuis.

Nous sommes restés ainsi au Boucou de mars à juin. Pendant les deux premières semaines de mai, nous avons été envoyés éteindre un incendie dans les gisements de gaz à Saint-Marcet. Ensuite, nous sommes retournés au Boucou.

C’est vers le début du mois de juin, que les autorités ont demandé des volontaires pour aller produire du charbon dans la forêt. Parmi les charbonniers, j’avais un collègue de Salvezines qui m’avait vanté les avantages de la situation : une meilleure alimentation et un encadrement plus souple puisqu’il n’y avait qu’un petit chef pour commander le groupe. Je me portai donc volontaire, un basque nommé Etcheverry fit de même. Quatre hommes avaient été demandés, mais faute de volontaires supplémentaires, à deux heures de l’après-midi, nous sommes partis tous les deux avec les muletiers. Nous emportions chacun notre « barda » ( c’est-à-dire toutes nos affaires dans un sac ) et nous sommes montés dans la forêt à pied.

CJF26 en 1942: photo de groupe

CJF26 de Sauveterre de Comminges en 1942. Etienne Régnier ne figure pas dans cette photographie prise après son départ © Famille Etienne Babu (affecté au CJF26 de juillet 1942 à mars 1943)

Nous avons rejoint les camarades qui étaient là depuis deux mois, quasiment depuis le début. Ils étaient arrivés directement après avoir suivi une formation de charbonnier d’un mois près de Tarbes. Le charbonnage était une activité très répandue à cette époque. Beaucoup de forêts étaient ainsi exploitées pour produire les importantes quantités de charbon nécessaires au fonctionnement des nombreuses forges qui travaillaient le fer produit par les mines locales. Pour ma part, j’ai appris ce travail sur le tas, au contact des autres, et je n’ai donc pas bénéficié de la formation initiale. Ça n’était en fait pas très difficile. On travaillait toute la journée. Les bûcherons nous procuraient des rondins d’un mètre de long, nous les recoupions en deux pour former la meule, qui était enfermée dans une grande virole. Cette virole était garnie de bûches jusqu’à une hauteur de deux mètres, et en son milieu était aménagée une cheminée. Ce système était plus simple et plus rapide que les meules traditionnelles qui étaient beaucoup plus grandes et que l’on recouvrait de terre. Une fois que notre meule était finie, pour initier la combustion, nous coupions du petit bois que l’on introduisait par la cheminée, puis, nous l’arrosions de pétrole pour faciliter l’allumage. Nous laissions la meule se consumer et en contrôlions la combustion en agissant sur des évents qu’il ne fallait pas trop ouvrir pour empêcher que la meule ne se mette à flamber. Au fur et à mesure, on ajoutait du petit bois par la cheminée pour que la combustion soit bien homogène. La nuit, deux ou trois hommes en assuraient la surveillance. Avec une longue perche, ils remuaient le petit bois, en montant sur la meule grâce à une échelle. Il fallait principalement surveiller la fumée qui devait sortir épaisse, une fumée claire indiquait une combustion trop rapide qui ne donne pas de charbon. La meule brûlait toute la nuit, ainsi que le lendemain et la nuit suivante, ce n’était que le surlendemain que l’on fermait les évents, on enlevait ensuite les viroles et le charbon était prêt, il fallait alors le laisser refroidir avant de le mettre en sacs. Nous étions quatre groupes de quatre charbonniers, chaque groupe s’occupait de deux meules, soit huit meules au total qui fonctionnaient continuellement. Pendant que deux meules brûlaient, on préparait celles du surlendemain. Le charbon que nous produisions était de qualité supérieure.

CFJ26 en 1942: photo de groupe

CJF26 de Sauveterre de Comminges en 1942. Etienne Régnier ne figure pas dans cette photographie prise après son départ © Famille Etienne Babu (affecté au CJF26 de juillet 1942 à mars 1943)

Nous étions administrés par le Boucou et parfois un responsable venait nous rendre visite pour s’assurer que nous travaillions dans de bonnes conditions et que nous ne manquions de rien. Il faut dire que nous faisions un travail très pénible et pour maintenir le moral et un bon niveau de productivité notre ordinaire était amélioré. Nos rations de nourriture étaient doublées par rapport à celles de nos camarades restés au Boucou. Nos conditions de vie étaient également meilleures en général. Nous logions dans une grande baraque et nous dormions dans des lits de l’armée ce qui était plus confortable que les campements de toile que nous avions jusque-là. C’est pendant cette période que j’ai bénéficié d’une permission de dix jours pendant laquelle je suis retourné à Salvezines me reposer chez mes parents. J’ai travaillé à la production de charbon jusqu’à ma démobilisation qui est intervenue au cours de l’année 1942. D’autres charbonniers sont venus me relever et moi, je suis retourné à Perpignan.

CFJ26

* Le hameau du Boucou fait partie de la commune de Sauveterre de Comminges (31) en Haute Garonne. C’est dans cette commune qu’était installé, en 1941, le Groupement 26 des Chantiers de la Jeunesse Française (CJF26) auquel appartenait Etienne Régnier. Par la suite, en 1943, ce groupement sera envoyé à Felletin dans la Creuse. Le symbole du Groupement 26 des chantiers de jeunesse est une tête de loup.

Ecusson CJF Groupement 26

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