La surveillance de la frontière

Pendant quatre mois, de septembre à décembre 1944, j’ai été désigné pour participer à la surveillance de la frontière espagnole, au lieu d’aller combattre en Allemagne. Des troupes avaient été disposées depuis la Méditerranée jusqu’à la côte basque pour empêcher la fuite vers l’Espagne des allemands et des collaborateurs. Il y avait des cantonnements à Saint-Laurent-de-Cerdans, au col d’Ares, à la Preste, et à Prats-de-Mollo. Nous étions une cinquantaine logés à Prats-de-Mollo, dans une ancienne caserne fortifiée par Vauban. Depuis Prats-de-Mollo, nous patrouillions de jour et de nuit au col d’Ares où la chapelle « Sainte Marguerite » aménagée pour recevoir une dizaine de soldats nous servait de refuge. Nous n’avons jamais eu l’occasion de capturer des fugitifs.

Pendant nos rondes nous avions souvent l’occasion de parler avec un berger espagnol qui gardait des chèvres et des moutons. Il parlait un peu français mais on le comprenait surtout grâce au catalan. C’était divertissant, car on s’ennuyait beaucoup pendant ces longues journées. Un soir de patrouille, un brouillard très épais recouvrait la montagne nous avions alors déroulé des barbelés pour interdire la frontière dans le secteur. Nous étions un groupe de cinq ou six, avec parmi nous un espagnol nommé Duero armé de la mitrailleuse. Ce soir-là, on a entendu un bruit dans les broussailles et Duero sans sommations s’est mis à tirer en direction du fourré. Cette attitude un peu vive lui valut les réprimandes de notre chef, car le bruit en question ne se révéla être que le tintement de la clochette d’une chèvre que l’on a retrouvée morte, criblée de balles et accrochée au barbelés. Pour sa part, le berger s’est enfui, dès le lendemain ou peut-être la nuit même, en abandonnant sa chèvre. On en a profité pour manger l’animal, on a juste fait cuire les gigots et on a laissé le reste aux renards et aux oiseaux de proie.

Un autre soir, j’ai été désigné pour une patrouille de 20 heures à minuit avec deux autres camarades dont un sergent. Depuis la veille, un bras avait commencé à me faire souffrir, et le soir, j’avais un gros bouton très douloureux. Je ne pouvais plus bouger mon bras et j’avais de la fièvre, j’en ai parlé au chef qui m’a fait remplacer et m’a envoyé me faire soigner à Prats-de-Mollo.

Un camarade de Salvezines, Etienne Jalibert a pris ma place, et le groupe est parti. Mais la frontière espagnole étant seulement définie par des bornes espacées d’un kilomètre, la patrouille, égarée dans le brouillard, l’a franchie involontairement. La sanction fut immédiate, des soldats espagnols qui surveillaient le secteur  et avaient vu les égarés, les ont cernés, capturés et désarmés après leur avoir tiré dessus, blessant le sergent à la cuisse. Ils ont ensuite étés incarcérés à la prison de Gérone, où les murs portaient encore les noms des républicains condamnés à mort, ce qui n’a pas rassuré nos hommes qui redoutaient le même sort. Le lendemain, ils ont tous été tondus et le sergent enfin a été envoyé à l’hôpital de Barcelone où il a reçut des soins avant de retourner en prison avec ses camarades. Ils sont restés ainsi prisonniers pendant presque deux mois.

Quand ils ne les ont pas vu rentrer au camp leurs camarades se sont inquiétés et ce d’autant plus que certains d’entre eux avaient entendu la fusillade. Notre chef qui était descendu à Prats-de-Mollo n’a pu que constater leur absence. L’intervention du consulat et de la Croix Rouge ont été sollicités et ainsi la libération de notre patrouille a été obtenue, elle a pu rentrer par le Perthus saine et sauve.

Pendant ce temps, notre mission s’était achevée, et nous avons été rapatriés. Les jeunes qui n’avaient pas fait leur service militaire ont dû le faire. La plupart sont allés dans un camp d’entraînement à Nîmes, mais on a compté à leur actif le temps passé dans le maquis. Les espagnols ont eu le choix entre rester dans l’armée française où tenter de s’organiser pour lutter contre le régime de Franco, ce qui était sans espoir, car ils étaient trop peu nombreux. Après cela, nous avons été démobilisés à Céret avec des certificats de maquis délivrés par le commandant Brugat.

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