L’occupation

Je n’ai pas été mobilisé en 1939, car seuls étaient concernés les hommes nés entre les mois de janvier et de mars 1920. Né le 1er avril de cette même année, j’ai donc évité l’appel à un jour près. Cependant, étant donné la rapidité de la défaite, les jeunes conscrits de cette classe n’ont pas combattu, car ils n’avaient pas encore terminé leur période d’instruction au moment de l’armistice. La plupart d’entre eux sont donc partis en Allemagne, grossir les rangs des prisonniers de guerre avant même d’avoir participé au conflit.

Après la fin des combats, les allemands ont rapidement occupé les grandes villes et ont instauré un couvre-feu tous les soirs à partir de vingt deux heures. Nous vivions alors dans la zone réservée pyrénéenne, une bande de terrain longeant la frontière et large d’une cinquantaine de kilomètres où seuls pouvaient entrer les gens qui y vivaient ou qui y travaillaient, tout du moins tant qu’ils n’avaient pas de problèmes avec l’occupant. Moins d’un mois après le début de l’occupation, l’alimentation fut rationnée, la nourriture était réservée en priorité aux troupes allemandes. L’usine où je travaillais s’était reconvertie pour fabriquer des caisses à munitions destinées à l’armée d’occupation, ce qui pendant un moment, m’a évité d’être convoqué pour le service du travail obligatoire (STO).

Dans la maison que nous habitions alors à Perpignan, nous écoutions parfois les nouvelles de la radio anglaise, mais il fallait se cacher et être très prudent, car les patrouilles allemandes veillaient et elles tiraient dans les volets lorsqu’elles voyaient de la lumière ou entendaient du bruit après le couvre-feu. Il y avait environ deux mille allemands à Perpignan. Nous les redoutions, mais il fallait également craindre certains français, notamment les miliciens que nous détestions par dessus tout. Dans ce climat de suspicion et de délation, finalement tout le monde se méfiait de tout le monde.

Mon frère André a continué à exercer normalement son travail, il avait une scie et produisait du bois de chauffage, utilisé principalement comme source d’énergie pour les véhicules roulant au gazogène. Il est toujours resté dans les métiers du bois. Après la guerre, il est parti en Afrique où il a continué à exercer jusqu’à sa retraite. Mon autre frère, Pierre, était en ce temps-là gendarme, dans l’Isère. Par la suite, il a rejoint le maquis où cinq de ses camarades ont été tués. Lui-même ainsi que deux de ses compagnons avaient été capturés et on les avait attachés à des roues de charrettes pour les fusiller, mais heureusement, ils ont été sauvés de justesse grâce à l’intervention opportune d’éléments du maquis du Vercors.

Page suivante