La résistance
Pendant l’année 1943, le maquis n’était encore qu’à l’état embryonnaire, il ne se composait que d’un groupe de clandestins désorganisés. C’est à partir du mois d’avril 1944, qu’il a commencé à se structurer. Petit à petit, autour des réfractaires se sont constitués des groupes d’opposants, il y avait également des républicains espagnols et même des portugais.
Dans le maquis, nous portions tous des noms de guerre, car par précaution, il ne fallait pas utiliser sa véritable identité. Le mien était «Titi », le diminutif de mon prénom Etienne.
Monsieur Rinéro*, l’instituteur du village, un ancien officier de réserve, commandait le groupe. C’est en écoutant tous les soirs les messages de Radio Londres à la BBC qu’un jour, il a entendu le message codé :« l’orvet est lisse** » annonçant les parachutages. Pendant plusieurs nuits, quinze à vingt hommes accompagnés de l’instituteur, sont montés dans les bois pour attendre les largages. Nous allumions de grands feux aux environs de minuit pour être repérés par les aviateurs. La quatrième nuit enfin, vers 1H30 alors que nous commencions à désespérer, nous avons enfin entendu un petit ronflement, c’était l’avion tant attendu qui approchait. L’instituteur sans perdre de temps envoya plusieurs fois avec une lampe les signaux convenus. L’avion nous repéra, il tourna plusieurs fois et lâcha sa précieuse cargaison.
Les parachutages durèrent ainsi pendant un mois, parfois nous attendions en vain. Les colis que nous recevions étaient enfermés dans des containers assez grands, nous y trouvions tout ce qui nous était nécessaire pour combattre : armes, vêtements, et ravitaillement. Les armes étaient variées, il y avait des carabines Remington et même des Mauser allemands, quelques pistolets mitrailleurs anglais de marque Sten, et leurs munitions. Dans un container, on a même reçu une mitrailleuse lourde toute neuve. Avec tout ce matériel, nous avons pu équiper notre groupe et même les maquis voisins***.
A partir de cette période, je ne descendais que rarement au village. Grâce au ravitaillement provenant des parachutages, on pouvait vivre en permanence dans la montagne, surtout que nous étions au mois d’août, et qu’il ne faisait pas froid. Un soir, nous avons eu une grosse frayeur, un parachutage a été raté, l’avion a lâché ses colis mais les parachutes ne se sont pas ouverts ou se sont mis en torche, les containers se sont écrasés. Nous étions catastrophés. Ils renfermaient des fusils et de belles jumelles à prismes toutes neuves. Tout était détruit, la cargaison entière était perdue. Nous avons même failli être blessés ou tués lorsqu’un container est tombé tout près de nous alors que nous alimentions un feu. Encore une fois, nous l’avions échappé belle.
Il n’y a pas eu que des parachutages de matériel à Salvezines, nous avons aussi reçu des parachutistes. Deux américains ont sauté chez nous au Prat d’Estable, de là ils ont étés envoyés avec une autre unité à Quillan. Ils ont combattu une compagnie allemande et l’un d’eux a été tué. Son nom figure sur le monument de la résistance érigé sur les lieux des parachutages. Les américains ont été au total une bonne dizaine**** à sauter sur le maquis de Salvezines, ils y sont restés quelques jours avant d’être incorporés dans une unité de parachutistes anglais et américains sur Perpignan ou Quillan.
A ce moment, les maquis étaient totalement opérationnels. Des éléments ont pu commencer à miner quelques ponts du côté de Quillan, ils ont capturé deux camions de soldats allemands qui fuyaient face à l’avancée alliée après le débarquement et qui n’ont opposé aucune résistance. Parmi les prisonniers, il y avait des déserteurs qui ont souhaité rejoindre nos rangs, car ils voulaient devenir français et continuer la lutte à nos côtés. Les autres ont été internés au camp de Rivesaltes.
Fin août, après les parachutages, les maquisards ont enfin été considérés comme des soldats. Nous avons été envoyés à Perpignan, mais lorsque nous sommes arrivés, la libération de la ville était presque achevée, il n’y avait déjà plus d’allemands, alors nous avons été dirigés vers Carcassonne. Dans les combats, nous avons eu deux ou trois morts sur un effectif total de 200 ou 300 personnes issues des maquis de l’Aude et des Pyrénées-Orientales.
A Carcassonne, une dizaine de personnes ont été arrêtées pour faits de collaboration avec l’ennemi. Certains détenaient chez eux des listes comportant les noms de maquisards locaux. Une fois les suspects capturés, ils ont été jugés de manière plutôt expéditive. Il y avait bien un juge et même un avocat mais ils étaient issus de la résistance, ce qui augurait mal du sort réservé aux accusés. Les collaborateurs ont étés condamnés à mort, ils ont eu la permission de formuler une demande de recours en grâce, ce qu’ils ont évidemment fait, mais le soir même, ils ont été emmenés en camion pour être fusillés devant la caserne. Je faisais partie du cordon de sécurité chargé de tenir la foule à distance, nous devions retenir les gens qui hurlaient et insultaient les condamnés. Notre rôle consistait à les protéger de la fureur populaire pour pouvoir appliquer la sentence. Douze soldats volontaires formaient le peloton d’exécution. Les condamnés étaient amenés un par un, et exécutés à tour de rôle. Après la salve l’officier, qui commandait le peloton s’avançait et leur portait le coup de grâce avec son revolver. Un cercueil était déjà prêt pour recevoir la dépouille. La cérémonie était macabre et l’atmosphère pesante.
Nous avons su plus tard par l’instituteur que dans les archives de la Kommandantur de Carcassonne, le village de Salvezines était repéré sur les cartes par une croix, c’est-à-dire qu’il était connu des allemands comme étant un site de résistance. On peut supposer qu’il était donc condamné à être détruit, et ses habitants massacrés comme ce fut le cas à Valmanya, par exemple. Mais le débarquement de Normandie et l’enchaînement des événements ont mis ce plan en échec. Pour notre part, nous avions envisagé cette hypothèse et, comme les gorges avant d’arriver à Salvezines sont particulièrement étroites, cela nous a permis de mettre en place des pièges pour retarder une éventuelle avancée des troupes ennemies. La route avait été minée avec une grande quantité de dynamite pour la faire sauter si des chars étaient venus. Nous avions aussi installé des nids de mitrailleuses de part et d’autre des gorges, mais fort heureusement, ces précautions se sont révélées inutiles.
Dans la résistance, Salvezines a joué un rôle, principalement grâce aux parachutages. Il y en eut en tout une quinzaine avec jusqu’à vingt colis par largage. Les combats contre les allemands ont été presque inexistants.
Plusieurs années après, la fin de la guerre, on pouvait encore trouver des traces de ces parachutages et même des restes de matériels.
* Dans l’ouvrage « La Résistance audoise » ainsi que sur le bulletin municipal de Maury, l’instituteur s’appelle Ribero et non Rinéro
** Le message BBC « l’orvet est lisse », est une information provenant de l’ouvrage « La Résistance audoise » tome 2 page 311.
*** La question du partage du matériel a visiblement été une source de tension. Sources à consulter: « La Résistance audoise » et les mémoires du parachutiste Jean Kohn, confirmant que la parachutage était destiné aux maquis AS et non aux FTP.
**** Les archives et témoignages disponibles indiquent que le point de largage des troupes américaines était en fait le village du Clat, proche d’Axat, et qu’il y ont été accueillis par le maquis de Salvezines qui les a hebergés pendant quelques jours avant leur départ vers Quillan. Voici la liste complète de ces parachutistes disponible sur le site Office Strategic Service Operational Group:
1st Lt. G. H. Weeks
1st Lt. P. Swank
S/Sgt. H. A. Sampson
T/3 J. P. Guion
T/3 A. R. Armentor
T/3 C. A. Galley
T/5 N. J. Frickey
T/5 R. Arnone
T/5 P. Weyer
T/5 A. E. Bachand
T/5 W. J. Strauss
T/5 J. P. White
T/5 J. Kohn
T/5 R. G. Veilleux